Règles typographiques : d’Académie à Accentuation


Académie Majuscule.

« L’Académie a un grand malheur, c’est
d’être la seule corporation un peu durable
qui n’ait jamais cessé d’être ridicule. »
Alfred de V
IGNY, Journal d’un poète.

1. Majuscule et minuscule

L’usage — chaotique — interdit d’appliquer bonnement les règles générales relatives aux institutions et aux organismes. C’est regrettable, bien qu’un soupçon d’académisme ne soit pas ici inadéquat.
Les occurrences non problématiques sont par bonheur les plus nombreuses. Dans ses emplois de strict nom commun, « académie » s’écrit évidemment avec une minuscule initiale.
Exemple. — Il fréquente une académie de dessin où il dessine des académies et peint des natures mortes.
Pris absolument (l’Académie) ou désignant une institution nationale, déterminée par un nom commun (l’Académie des sciences) ou un adjectif (l’Académie française), le mot académie prend une majuscule initiale.
Pour le reste, les avis sont partagés (voir : § 2). Comme toujours, deux tendances s’affrontent : la cohérence contre l’élégance, la logique contre la grâce, la grammaire contre la typographie, la majuscule souveraine contre la minuscule subtile, l’Académie Goncourt contre l’académie Goncourt. Il est fâcheux de privilégier une vertu aux dépens d’une autre. Pourtant, il le faut, car emprunter une voie médiane ne simplifie rien et additionne aussi les vices. La règle énoncée ci-dessous respecte la grande tradition typographique française, que, selon l’humeur du jour, on trouvera byzantine ou raffinée.

1.1.
••• Le mot académie prend une majuscule initiale…
1.1.1. Lorsqu’il est pris au sens absolu (l’Académie) ; emploi réservé — en principe — à l’Académie française et aux Académies platoniciennes : l’Académie travaille, dit-on, à un dictionnaire ; le Dictionnaire de l’Académie est en lente gestation ; l’Ancienne Académie.

1.1.2. Lorsqu’il désigne une société savante (au sens large…), déterminée par un nom commun : l’Académie d’agriculture, l’Académie d’architecture (de marine, des sports, etc.), l’Académie de chirurgie (de médecine, de pharmacie, etc.), l’Académie des sciences de Berlin (de Cracovie, du Kazakhstan, etc.) ou par un adjectif : l’Académie britannique, l’Académie florentine (française, palatine, etc.), l’Académie romaine pontificale d’histoire et d’archéologie, l’Académie royale de peinture et de sculpture (de danse, de musique), l’Académie royale espagnole, l’Académie royale de langue et de littérature française de Belgique.

1.1.3. Lorsqu’il désigne une institution nationale unique, quelle que soit la nature du déterminant : l’Académie d’Italie, l’Académie de France à Rome, l’Académie d’armes (institution unique, mais une académie d’armes ou l’académie d’armes du coin).
Ces critères peuvent se superposer : l’Académie française est une institution nationale unique et une société savante déterminée par un adjectif.

1.2.
••• Dans tous les autres cas, la minuscule initiale s’impose.
Société savante déterminée par un nom propre (ou une dénomination assimilée à un nom propre) et n’ayant pas le caractère d’une institution unique : l’académie Goncourt (Dupont, Julian, Untel, etc.), l’académie de Sainte-Cécile, ± l’académie des Jeux floraux (voir : Jeu).
Circonscription universitaire française, anciennes universités : l’académie d’Aix-Marseille (de Nancy, de Poitiers, de Toulouse, etc.), les académies protestantes.
Lieu, école ou établissement où l’on pratique un art, un sport, un jeu et n’ayant pas le caractère d’une institution unique : une académie de billard, une académie d’armes (de danse, de dessin, d’escrime, d’équitation, de peinture, etc.), l’académie Charpentier.
Nom commun non déterminé : à quoi servent donc les académies ?
Œuvre représentant un nu : une belle académie de Boucher.
Extension de sens : elle a une très chouette académie.


2. Points particuliers

Emploi au sens absolu : il est traditionnellement réservé à l’Académie (athénienne), fondée par Platon sous les platanes du jardin d’Akadêmos, et à l’Académie (française), fondée par Richelieu et fréquentée depuis par des académiciens.
•• Source de clarté, ce privilège ne devrait pas être aboli.
Toutefois, si le contexte élimine les risques de confusion, rien n’interdit de l’étendre occasionnellement à d’autres Académies qui bénéficient de la majuscule initiale (voir : § 1.1.2 et 1.1.3).
L’Académie désigne parfois l’Institut de France, mais c’est introduire une ambiguïté inutile puisque nous avons l’Institut (institution et bâtiment).
Institut de France (l’Institut) : Académie française, Académie des inscriptions et belles-lettres, Académie des sciences, Académie des beaux-arts, Académie des sciences morales et politiques.
Circonscriptions universitaires : la minuscule s’impose depuis longtemps : l’académie de Lille, un inspecteur d’académie.
Gouriou 1990, Guéry 1996, Hachette 1995, Hanse 1987, Impr. nat. 1990, Larousse 1885, 1904, 1933, 1970, Lexis 1989, Robert 1993.
Robert 1985 [Académie de Strasbourg].

Palmes académiques : elles obéissent à la règle commune (ordre, depuis 1955) : l’ordre des Palmes académiques, officier des Palmes académiques ; à lui la palme, il a eu les Palmes ! (voir : Décoration, Ordre).
Code typ. 1993, Girodet 1988, Impr. nat. 1990, Larousse 1970, 1992, Zacharia 1987.
Hanse 1987 {palmes académiques}, Robert 1985, 1993 {les palmes}.

Goncourt : face à celle des Quarante, Edmond de Goncourt fonda par testament une académie composée de dix romanciers, connue depuis sous le nom d’académie des Goncourt (forme désuète) ou, aujourd’hui, d’académie Goncourt (forme recommandée). Elle décerne le prix Goncourt. On peut trouver chez les plus grands écrivains mille et un exemples pour défendre et justifier la majuscule initiale d’{Académie} : la méthode s’applique à quantité d’archaïsmes, voire à des formes depuis des décennies fautives. L’orthotypographie de René Étiemble (Universalis 1990) est irréprochable : « Qui sait même si, à côté des centaines de navets qu’elle a suscités dans l’esprit du prix qui enrichit son homme, l’académie Goncourt n’a pas fait germer un bon livre (ou même deux) ? »
Compréhensible sous la plume des premiers membres (Jules Renard, par exemple), l’emploi absolu systématique avec la majuscule initiale semble aujourd’hui abusif : « Hervé Bazin, pas plus que Colette, n’aura jamais le Prix [> prix], mais il s’en consolera en devenant, comme elle, président de l’Académie [> académie]. » – Michel T
OURNIER, de l’académie Goncourt, le Vol du vampire.
Code typ. 1993, Hachette 1995, Impr. nat. 1990, Larousse 1933, Micro-Robert 1990 : académie Goncourt.
Larousse 1985, Larousse mens. (mars 1908) : académie des Goncourt.
Larousse 1904, 1970, 1999 : {Académie des Goncourt}.
Doppagne 1991, Gouriou 1990, Robert 1994, la plupart des écrivains membres de cette académie et certains de ceux qui souhaitent la rejoindre ou obtenir son prix annuel : {Académie Goncourt}.


3. Coutume absurde ?

Il est certain que les options retenues ici peuvent être légitimement critiquées. Encore convient-il de bien choisir ses arguments. Les partisans de l’uniformité en avancent parfois d’étranges. Doppagne 1991 nous met en garde : « La masse ne comprendra pas ou ne retiendra pas qu’il faut écrire Académie française mais académie Goncourt […]. »
Je suis persuadé que « la masse » sait encore faire la différence entre un adjectif et un patronyme, entre une institution dont le caractère unique paraît indubitable et un club de romanciers, et qu’il n’est pas raisonnable, surtout pour un grammairien, de s’imaginer le contraire.
Le couple Académie de marine – musée de la Marine est certes troublant pour les amateurs d’uniformité mais il respecte une loi non écrite — une « tendance lourde » —, celle qui, tenant compte de la perception des masses, assimile certains « organismes » à des lieux (voir :
Majuscule).


Accentuation Abréviation, Capitale, Chimie, Index, Ligature, Majuscule, Sigle, Transcription, translittération, Unité de mesure.

« Les accents ne sont-ils pas comme des adieux,
les dernières notations musicales de notre alphabet déchiré ?
C’est par eux, par ces touches sonores qui se posent
sur les lignes que nos livres relèvent encore de la musique. »
Jérôme P
EIGNOT, De l’écriture à la typographie.

1. •• Accents sur les majuscules.

Aujourd’hui, les majuscules doivent être accentuées, que le texte soit COMPOSÉ EN CAPITALES, COMPOSÉ EN PETITES CAPITALES, composé en bas de casse (les majuscules initiales étant accentuées).
Code typ. 1993, Frey 1857, Gouriou 1990, Grevisse 1986, Guéry 1996, Impr. nat. 1990, Perrousseaux 1995, Richaudeau 1989, Williams 1992.
La quasi-totalité de la presse et une part croissante de l’édition.

« Il est dans un [etat] lamentable » choquera le premier lecteur venu, qui relèvera immédiatement une faute d’orthographe. « Les [Etats-Unis] sont dans une situation enviable » ne troublera pas grand monde ; quelques pinailleurs noteront une petite négligence, aujourd’hui bien courante. Or il s’agit de la même faute. Pourquoi une faute inadmissible sur une minuscule deviendrait-elle vénielle, admissible, voire recommandée sur une majuscule ? Les capitales accentuées supportent mal la réduction de l’interlignage ? Certaines polices n’offrent pas tous les caractères accentués du français, d’autres en sont totalement dépourvues ? « É » ne se frappe pas aisément sur un clavier d’ordinateur ? Qu’à cela ne tienne ! répliquent les esprits entreprenants, changeons la langue, le problème sera résolu. D’où les [A mon sens], [Etre présent au monde], [Ecoles de gestion], [Ile de Ré] qui fleurissent dans la prose commerciale, publicitaire, administrative, religieuse, dans la presse ou la correspondance privée, voire dans quelques livres. L’influence « néfaste » des machines à écrire est une explication commune, répétée à l’envi, qui ne tient pas debout : pendant le siècle où elles furent en usage, on n’a pas constaté la raréfaction progressive de toutes les richesses typographiques qu’elles étaient incapables de reproduire. On a même assisté au phénomène inverse.
[Ecriture] ou [Ecole] sont des graphies défectueuses mais peu dangereuses : les noms communs ne figurent pas toujours en début de phrase ; dans la plupart de leurs occurrences, ils sont intégralement composés en bas de casse et recouvrent leur accent. Les noms propres n’ont pas cette chance. Composer systématiquement [Ebre] ou [Erasme] est une singulière façon d’apprendre aux écoliers qu’il convient d’écrire : Èbre, Érasme… Nul n’a le droit de reprocher à un élève d’écrire [Erato] dès lors que le malheureux reproduit fidèlement la seule graphie qu’il lui ait été donné de lire. Dans un dictionnaire, l’absence de capitales accentuées est une monstruosité : la Délégation générale à la langue française, organisme officiel dont le nom est explicite, s’est déshonorée — le mot est ridiculement faible — en publiant un Dictionnaire des termes officiels de la langue française qui en est totalement dépourvu.
On prétend parfois que les accents purement diacritiques peuvent être omis sans dommage sur les capitales, car ils ne modifient pas la prononciation et ne fournissent qu’une information superflue. Le cas le plus fréquent est bien sûr la préposition « À » qui, en tête de phrase, ne risque guère d’être confondue avec l’auxiliaire « avoir » (même dans des occurrences comme celle-ci : « A voté ! — À voir ! »). Cette licence est aujourd’hui condamnable, car elle perpétue une exception qui a perdu son alibi technique.
Impr. nat. 1990.

Outre l’orthographe, le défaut d’accentuation met à mal la clarté des messages écrits : LE MODELE DU COLON : le modèle du colon (ou du côlon ?), le modelé du côlon (ou du colon ?).
Autres exemples classiques. —
LES FORBANS SERONT JUGES. LE MAGASIN FERME A CAUSE DES EMEUTES. LES INTERNES DENONCENT LE BEURRE SALE. UNE VILLE DE CONGRES. LE SECRETAIRE D’ETAT CHAHUTE A L’ASSEMBLEE. UN SOLDAT ASSASSINE SUR ORDRE. IL CROIT SELON LA NORME. UN ROMAN ILLUSTRE. GARAGES COUVERTS ET FERMES A LOUER. DES ENFANTS SINISTRES, DES PARENTS INDIGNES. JE ME SUIS TUE. MON BEAUJOLAIS EST LIQUIDE !
« IL LAVAIT LES PECHES AINSI QUE DES LIMONS. » – Victor HUGO, la Fin de Satan.
« 
LES LETTRES AIMENT LES VERGES ET LES COUCHES ILLUSTRES. » – Jacques BERTIN & Jacques JOUET, le Palais des congres.
Anecdote. — Il y a quelques années, un musée des sciences et de l’industrie proposa des « billets couplés » avec une salle de spectacle. Ne possédant pas de capitales accentuées, les panneaux lumineux affichèrent :
BILLETS COUPLES. De nombreux couples s’étant présentés dans l’espoir de bénéficier d’un tarif réduit, on décida de modifier le message et l’on proposa des « billets combinés », qui, faute d’accent, intriguèrent plus d’un visiteur.

Attention !… S’il est erroné de prétendre que la non-accentuation des capitales est une licence typographique accordée de longue date, il serait téméraire d’affirmer que l’accentuation de toutes les voyelles capitales est une très ancienne tradition… Les accents n’ont pas eu des naissances concomitantes et, selon les voyelles qu’ils modifiaient, ils s’imposèrent plus ou moins lentement. Les « A, I, O, U » furent rarement accentués par les graveurs de caractères — ces « accents » n’existaient pas dans les fontes de labeur —, mais les « É, È, Ê » furent toujours respectés. Les capitales accentuées comptaient parmi les lettres les plus délicates à fondre, les plus chères et les plus fragiles de la casse romaine, car l’étroitesse du talus supérieur imposait un crénage (partie de l’œil qui déborde du fût) : les accents se brisaient parfois lors du serrage dans la forme (au XVIIIe siècle, l’accent fut parfois gravé sur le côté : « E´ »). On conçoit que certains imprimeurs aient tenté d’en raréfier l’usage. Cet argument, le seul à bénéficier d’un semblant de motivation, est évidemment caduc aujourd’hui.

Mots souvent maltraités :
À (la claire fontaine, la recherche du temps perdu, demain, bientôt, etc.).
Âmes.
Écosse, Éden, Édom, Égypte, Élam, Épire, Équateur, Érié, Érythrée, États-Unis, Éthiopie, Étolie, Étrurie.
Étcouen, Élée, Éleusis, Épernay, Éphèse, Épidaure, Épinal, Étampes, Étaples, Étretat, Évian-les-Bains, Évreux, Évry.
Éboué, Écho, Édith, Édouard, Égérie, Électre, Éléonore, Éliane, Élie, Élisabeth, Élisée, Éloi, Émile, Émilie, Éole, Éon, Épictète, Épicure, Érasme, Érato, Ésope, Étiemble, Étienne.
Église, État, Épîtres, Établissement, Éthique, Étrusques, Évangiles, Évêché.
Èbre, Ève, Èz
Être.
Île, Île-de-France, Île-d’Yeu (commune).

Les abréviations et les sigles ne devraient pas échapper à l’accentuation des majuscules : N. D. É. (note de l’éditeur), A.-É.F. (Afrique-Équatoriale française), É.D.F. (Électricité de France). Leur non-accentuation est hélas l’usage dominant (voir : Abréviation, Sigle).
Les symboles et les codes normalisés sont en revanche soumis à des règles particulières qui, dans certains cas, les privent même des accents sur les minuscules… : Ne pour « néon ». Voir Chimie, Unité de mesure.


2. ••• Accents sur les minuscules

Pour les noms communs, voir les dictionnaires et les grammaires de la langue française : pour les noms propres, voir les dictionnaires encyclopédiques, les atlas, etc.
Relevons simplement quelques pièges classiques :

bailler :
donner ; vous me la baillez belle.
bâiller : 
« “On ne s’ennuie pas dans votre société”, dit Ragotte en bâillant tout grand. » – Jules RENARD, Journal
bailleur :
le locataire du second a tué son bailleur.
bâilleur :
un bon bâilleur en fait bâiller dix.
bohème :
jadis, autour de Montparnasse, patrie des bohèmes (les bohémiens, eux, sont plutôt nomades).
Bohême :
autour de Prague, peuplée de Bohémiens ou, mieux, aujourd’hui, de Tchèques.
ça :
pronom démonstratif. Il ne manquait plus que ça !
çà :
adverbe de lieu : ses chaussettes gisent çà et là.
cote :
les tirailleurs ont atteint la cote 240 ; la cote de ses actions chute.
côte :
la côte de bœuf est inabordable ; la Côte également.
crête :
au sommet de la côte (et du coq), il y a une crête.
Crète :
la Crète est peuplée de Crétois.
cru :
le bouilleur de cru ne m’a pas cru, grand cru, poireau cru.
crû :
le chiendent a crû dans ma rue.
genet :
petit cheval, originaire d’Espagne ; Jean Genet : écrivain français.
genêt :
arbrisseau à fleurs jaunes : cette année, les genêts fleurissent tôt.
sur :
ce fruit est sur, cette poire est sure ; il est sur l’île.
sûr :
ce fruit est pourri, c’est sûr ; elle est sûre d’elle.


3. Accents, tréma, cédille, ligatures

3.1. Signes auxiliaires français.

¶ Une police qui n’offre pas tous ces caractères (bas de casse et capitales) ne doit pas être employée pour composer un texte en français (sauf s’il s’agit d’un audacieux lipogramme).
« ÿ » a un statut spécial… Il n’appartient plus au « répertoire » français ; il figure néanmoins dans la graphie de quelques noms propres : L’Haÿ-les-Roses, Georges Demenÿ, Pierre Lecomte du Nouÿ (que depuis des décennies Larousse et ses suiveurs transforment en [Noüy]), Pierre Louÿs (pseudonyme de Pierre Louis), etc. Son absence n’est pas blâmable… sa présence est néanmoins très souhaitable.

3.2. Signes auxiliaires étrangers.
Signes réservés aux ouvrages spécialisés ; leur emploi est déconseillé * dans la composition des textes courants rédigés en français :

Exemples. — Anders Jonas Ångström > Angström (ou Angstrœm), Ørsted > Œrsted.
* Déconseillé, car difficile et dangereux. Si l’on compose Ørsted, on indique au lecteur que les particularités des divers alphabets latins sont respectées. On n’a pas le droit d’ensuite le décevoir ou, pis, de le tromper en composant : . On peut objecter que bien mince est la différence entre les signes dont l’emploi est recommandé dans les textes courants (Á, Ú, Ò, Ö, IJ, Ñ, etc.) et les réprouvés, cantonnés chez les spécialistes (Å, Ø, etc.)… et que l’argument avancé peut s’appliquer aux deux catégories. Il me semble cependant que les accents aigu et grave, que le tréma, présents en français sur d’autres voyelles, que la ligature IJ et le tilde (admis depuis fort longtemps dans nos dictionnaires) s’intègrent si naturellement au sein d’une composition française qu’ils n’indiquent en rien que tous les caractères spéciaux de toutes les langues usant de l’alphabet latin y seront nécessairement reproduits.

•/•• Signes dont l’emploi est recommandé, mais dont l’absence ne peut et ne doit pas être considérée comme fautive dans les •• textes rédigés en français :

Exemples. — Les Länder allemands, l’IJ, l’IJsselmeer, Franz Lehár, cañon (canyon), Marañón.
Si certains signes sont indisponibles, reste le recours à la tradition : Ä ä, Ö ö > Æ æ, Œ œ. Pour ceux qui récusent tout signe étranger, restent les irréprochables graphies francisées : Lehar, Maranon.
¶ Les polices courantes permettent d’obtenir tous les caractères spéciaux de quelques langues utilisant les caractères latins :

En revanche, des polices spéciales sont nécessaires pour obtenir aisément tous les caractères des langues suivantes :

Police courante


Police spéciale

 * Avec une «virgule» souscrite, et non une cédille…


3.3. Signes auxiliaires monstrueux (qu’il ne faut pas confondre avec des formes similaires appartenant à certaines langues) ; leur emploi est à proscrire dans tous les textes composés en français qui ne sont consacrés ni à la phonétique ni à la prosodie :

Voir : Transcription, translittération.
Exemple. — {‘} : il n’est pas nécessaire de savoir écrire l’arabe pour être persuadé que les Arabes n’écrivent pas ainsi le nom du père de Mahomet. Alors, pourquoi nous ? Pour transcrire la prononciation, l’accentuation ?
Exemple. — {} : pour combiner les charmes de notre alphabet et ceux de l’alphabet phonétique ? [purkwa pa] ? Mais c’est se donner bien du mal pour des gens qui depuis des siècles prononcent London Londres (ville peuplée de Londoniens) et Praha Prague (ville peuplée de Pragois ou de Praguois).


I. Le français a-t-il besoin d’accents ?

À France-Langue, du 25 mars au 9 juillet 1997.
O. BETTENS : L’« autre » en question, faut-il le rappeler, écrivait un français quasiment sans accent, ce qui ne l’empêchait pas d’être savoureux. Comparée à celle de Rabelais, la prose que nous écrivons aujourd’hui, en dépit des nombreux accents qui l’émaillent, est hautement insipide. Tout cela pour dire que le français, en tant que langue écrite, s’est constitué sans accent et a fonctionné sans accent (ou presque) durant les deux tiers de son existence.
Je ne discuterai pas vos goûts, bien que sur ce point ils soient fort éloignés des miens. On a bien le droit de ne pas aimer les accents.
Pour illustrer une description personnelle de l’évolution de notre orthographe, je ne suis toutefois pas persuadé que l’on puisse appeler si aisément Rabelais à la rescousse.
À ce genre de sollicitation, voici ce que répond une spécialiste (Nina Catach, les Délires de l’orthographe) de l’histoire de l’orthographe française : « En attendant, s’il vous plaît, ne jugez pas l’orthographe de la Renaissance d’après celle de notre bon maître Rabelais. Il ne s’agissait que de l’une de ces farces dont il a le secret. »
La prose hautement savoureuse de Rabelais est truffée d’archaïsmes graphiques (pour son temps…) auprès desquels les malheureux accents qui vous consternent ne sont que facéties discrètes.
O. BETTENS : Même si je n’éprouve pas pour eux un amour immodéré, je ne peux pas dire que je n’aime pas les accents. En tous les cas, je les utilise comme tout francophone normalement scolarisé et je ne milite nullement pour leur suppression… Mais j’éprouve une certaine mauvaise humeur lorsque j’en trouve là où il n’y en avait pas (ou peu) à l’origine, c’est-à-dire dans les éditions de textes du Moyen Âge, de la Renaissance et aussi dans les grands textes classiques.
Je vous comprends… mais il existe des éditions adaptées à tous les publics (des écoliers aux médiévistes ou aux seizièmistes, aux dix-septièmistes…). Je ne suis pas enseignant, mais j’ai toutefois le sentiment qu’il ne serait guère pédagogique d’imposer aux élèves la lecture de Rabelais, de Montaigne, de Ronsard, ou même de Molière, ou même de Voltaire dans des graphies d’époque.
O. BETTENS : Quant à la graphie de Rabelais, qui est surtout celle de ses imprimeurs, elle est parfaitement représentative de l’orthographe traditionnelle de la Renaissance, c’est-à-dire non encore influencée par les divers courants réformistes qui marquent la seconde moitié du XVIe siècle. En cela, elle est magnifique, n’en déplaise à Mme Catach, dont les travaux sont par ailleurs remarquables.
Alors là, je ne vous suis plus du tout…
— Dans un précédent message vous mettiez en avant le génie de Rabelais et la saveur de sa graphie, et aujourd’hui vous affirmez que cette graphie est surtout celle de ses imprimeurs. Difficile de discuter vos arguments, s’ils changent d’une semaine à l’autre…
— D’autant que les plaisantins qui ont introduit les accents dans le français écrit sont les imprimeurs de la Renaissance. L’accent aigu dès 1530, avec Robert Estienne.
— Pourquoi voulez-vous que votre apologie de l’orthographe de la Renaissance déplaise à Mme Catach, puisque vous dites exactement la même chose qu’elle ? Je vous rappelle que sa phrase citée se contentait de réfuter les sollicitations abusives de Rabelais… Par parenthèse, les travaux historiques de Nina Catach sont certes remarquables, mais je suis loin de partager tous ses points de vue sur la situation actuelle et singulièrement pas, puisque c’est le sujet, son curieux penchant pour l’accent plat (qui pourrait remplacer l’aigu et le grave).
O. BETTENS : Heureux temps en vérité que cette Renaissance où une graphie pouvait être archaïsante ou novatrice, traditionnelle ou réformiste, étymologisante ou phonétisante, administrative ou littéraire, négligée ou soignée, et pas seulement (et tristement) correcte ou incorrecte, comme c’est le cas aujourd’hui…
Heureux temps en vérité que cette Renaissance où l’on passe du livre manuscrit au livre imprimé, et où, par conséquent, ceux qui imposent l’usage graphique ne sont plus tout à fait les mêmes… Navré, mais j’ai un faible pour les imprimeurs-typographes de la Renaissance… et pour leurs accents.
O. BETTENS : De même que certains cuisiniers sans génie recouvrent indistinctement leurs plats de béchamel, ce qui a pour effet d’ajouter à bon compte un certain nombre de calories, mais supprime toute surprise gustative, de même nous utilisons, avec une efficacité indéniable, mais avec une terne monotonie, une orthographe lisse et insipide.
Si je vous lis bien, depuis que l’Académie a corseté notre orthographe, notre langue écrite est recouverte de béchamel ? La prose lumineuse ou fulgurante de quelques écrivains, à l’orthographe lisse et insipide, me semble avoir été confectionnée en suivant une recette différente. Par ailleurs, si Queneau est dans la béchamel, il fait des grumeaux. Mais c’est un autre débat… […]
Au risque de me faire de nouveaux amis, je crois qu’écrire en éliminant systématiquement l’accentuation n’est aisé que pour ceux qui écrivent rarement à l’aide d’un clavier. Ceux qui tous les jours pianotent pendant des heures ont de tels automatismes que l’on voit mal pourquoi ils se donneraient une peine considérable pour défigurer leur orthographe… Écrire moins vite chaque phrase dans le seul dessein d’être compris par des correspondants qui n’auraient qu’à consacrer quelques secondes pour régler leur logiciel me semble une curieuse idée. En outre, il y a un risque : acquérir de nouveaux automatismes qui engendreront des fautes dans des circonstances où elles ne sont pas souhaitables.
O. B
ETTENS : Si l’on veut aller plus loin, il faut faire intervenir les statistiques… Je pense qu’il ne serait guère difficile de montrer, en utilisant des textes d’une certaine longueur (quelques pages) pris au hasard, qu’après suppression aléatoire de 20 % des lettres, la proportion des mots et des phrases qui resteraient compréhensibles serait très importante (nettement supérieure à 80 %).
On peut même s’amuser à déterminer des seuils, des limites, faire intervenir divers paramètres (nature du texte, niveau culturel du cobaye, etc.). Je ne conteste pas l’intérêt de ces expériences dans les laboratoires, du moment qu’elles y restent. Les transformer en pourvoyeuses d’alibis… c’est une autre affaire.
Quant à la proportion « des mots et des phrases compréhensibles sans grande hésitation » en l’absence d’accents, admettons, pour vous faire plaisir, qu’elle soit de 99,9 % (pour des textes, je le suppose, qui avec leurs accents offriraient 100 % de mots et de phrases compréhensibles sans grande hésitation). Ce millième incompréhensible ou simplement ambigu me fait beaucoup de peine. D’autant qu’il est peut-être décisif. Vous tirez argument de cet hypothétique 99,9 % pour conclure que « le débat sur les accents et les réseaux n’est pas gouverné par des impératifs de communication mais se situe sur le terrain de l’affectif ». Qu’il y ait là de l’affectivité, c’est certain, mais pourquoi exclure les « impératifs de communication » ? L’un d’eux n’est-il pas l’élimination de toutes les erreurs (évitables) ? S’agissant de la simple transmission physique de l’information, si vous aviez à choisir entre une technique qui s’acquitte de sa tâche sans erreur et une autre qui introduit nécessairement 99,9 % d’erreurs, que feriez-vous, où irait votre préférence ? En tant qu’épistémologue, diriez-vous que les partisans de la première sont des puristes réactionnaires et que les partisans de la seconde sont des esprits ouverts, de fins réformateurs ?
ALB : Les moines aiment beaucoup les jeunes.
Beau modele, ce jeune ! Beau modelé, ce jeune ! Beau modèle, ce jeûne ! Ne me dites pas que ces moines sans accent se rapprochent dangereusement des colons. Difficile dans ces conditions d’accepter que l’accentuation soit un problème qui ne concerne que les mouches.
K. MUKUND : Autre chose : pourquoi courriel, au fait ? Puisqu’il s’agit de courrier électronique, ne devrait-on pas écrire courriél, à moins de tout transcrire en lettres capitales ? Pourquoi l’accent aigu de électronique tomberait-il ?
L’accent tombe parce qu’il est inutile, ce qui est la meilleure des raisons. En outre, dans une telle position, il serait fautif, mais c’est peut-être secondaire… Écrivez-vous Minitél ?
En outre de l’outre, même s’il n’était pas fautif, il faudrait quand même le faire tomber, car « courriel » est un mot-valise. Certes, il associe courrier et électronique, mais il est subtil de faire comme si le e était commun aux deux composants : courrier et electronique. L’accent n’apporterait pas grand-chose à la perception d’« électronique » mais gênerait celle de « courrier ». Ben ça alors… Voilà que je me mets à défendre courriel… Bravo, la D.G.L.F. !


II. Questions d’orthographe et de langue

À Typographie, le 24 juin 1997.
P. CAZAUX : Comment faites-vous pour savoir s’il faut ou non un accent sur la capitale initiale de certains noms propres, comme Édouard, ou Éliane ? Pour ma part, j’essaie de trouver un nom commun qui y ressemble, et j’applique la même règle. Exemple : édulcorer ou élision. Qu’en pensez-vous ? Et s’il n’y a pas de correspondance ?
Votre méthode est très, très risquée… même si l’on se contente de l’appliquer aux seuls noms propres français (pour les autres, les erreurs potentielles sont innombrables).
D’où va-t-on tirer Ève (ève) ? D’événement ? Et Antoine Etex ? D’été… ou de Pierre Étaix ? […] Impossible d’éluder l’absence de l’accent… Les analogies de ce genre sont dangereuses bien au-delà de l’initiale, et la clémence a souvent défiguré Clemenceau
S’il n’y a pas de correspondance, le mieux est de rester sur la même ligne : lorsque l’on ignore la graphie d’un nom propre, la seule méthode fiable consiste à consulter un ou plusieurs ouvrages de référence…

À France-Langue, du 25 mai au 5 juin 1998.
H. LANDROIT : En ce qui concerne l’accent circonflexe : les recommandations orthographiques de 1990 proposent de le supprimer sur le i et sur le u, étant donné que sur ces deux lettres il n’a plus de portée phonétique.
Pas si simple… La « règle (?) simplifiée » engendre des exceptions à la pelle… Pour être clair : elle ne « crée » pas ces formes, qui existaient déjà, elle leur confère l’enviable statut d’« exceptions »… L’accent circonflexe est supprimé sur le i et sur le u… excepté…
Voyons le Journal officiel (je sucre les exemples) : « […] Excepté dans les cas suivants * : a) Dans la conjugaison, où il marque une terminaison : Au passé simple (première et deuxième personnes du pluriel). À l’imparfait du subjonctif (troisième personne du singulier). Au plus-que-parfait du subjonctif (troisième personne du singulier). b) Dans les mots où il apporte une distinction de sens utile : dû, jeûne, les adjectifs mûr et sûr, et le verbe croître. […] Sur ce point comme sur les autres, aucune modification n’est apportée aux noms propres. On garde le circonflexe aussi dans les adjectifs issus de ces noms. »
* Attention aux exceptions des exceptions ! La nouvelle « règle simplifiée » est que les formes féminines et plurielles n’ont plus droit à l’accent (comme c’est déjà le cas pour , due, dus, dues), puisqu’elles ne peuvent être confondues avec d’autres adjectifs. Pourquoi pas ? C’est plutôt une bonne idée. C’est vite dit… Sure, qui respecte la nouvelle « règle générale d’élimination de l’accent circonflexe sur u », viole la nouvelle « exception à la règle » qui veut que l’accent soit maintenu dans les homographies d’adjectifs… En effet, c’est (maintenant…) à la fois le féminin de sûr et de sur (acide)…
Bref, l’orthographe simplifiée consiste à écrire croître mais accroitre
Question… Dans l’orthographe rectifiée, « [il] parait… », c’est quel verbe ?
Remarque. — Tout le monde sait que l’homographie n’est pas un véritable problème, car les cas d’ambiguïté effective sont rares. On peut certes l’ériger en motif d’exception… mais alors… autant respecter les principes que l’on s’est imposés lors d’une réunion précédente…
Comme avec le tréma, il est éclairant de mettre en regard les recommandations anticirconflexistes de 1990 et les dernières éditions des dictionnaires d’usage courant.
Comme le dit si bien Josette Rey-Debove : « Il faut se rendre à l’évidence ; ce ne sont pas les qualités fonctionnelles de la langue qui intéressent les Français, mais plutôt ce qui les surprend et ce qui les charme sans servir à rien. »
H. LANDROIT : Il faut savoir aussi (mais là je m’aventure à nouveau en terrain miné car ce genre d’arguments est tout de suite interprété comme une « officialisation de la faute ») que l’accent circonflexe est le principal responsable des fautes d’orthographe.
Moi, en tout cas, je n’interprète pas cet argument comme vous semblez le croire… Pour une raison simple, qui vous surprendra peut-être : je n’accorde pas une grande importance aux « fautes » d’orthographe… […] Pardonnez-moi de retourner une fois de plus l’argument : c’est vous (j’entends les partisans déterminés de toutes les rectifications) qui êtes obsédés par le « problème de la faute »…
Accessoirement, je suis payé pour éliminer ces fautes, mais, essentiellement, je dois vérifier qu’un texte est digne d’intérêt, et quand il n’en a guère je suis parfois chargé de le modifier pour faire accroire qu’il en a beaucoup. C’est une évidence, veuillez me la pardonner, mais un tissu de conneries peut dès l’origine ne receler aucune faute d’orthographe, il demeurera toujours un tissu de conneries ; un chef-d’œuvre manuscrit peut être farci de fautes d’orthographe, c’est, contre l’avis de tous les débusqueurs de fautes, un chef-d’œuvre. Il suffit de lui donner un coup de chiffon pour qu’il rutile.
Une orthographe parfaite sur une prose parfaite, ça a de la gueule. Il serait dommage de ternir volontairement les dorures au seul profit des allergiques au chiffon.
Les fautes d’accentuation, singulièrement pour le circonflexe et singulièrement dans les copies d’élèves, sont plus que vénielles, elles comptent pour du beurre… L’idée absurde, ce n’est pas de conserver l’accent circonflexe, c’est de considérer son absence « fautive » comme un éventuel critère d’appréciation, voire de sélection. À ce compte-là, et pour user de l’argument que vous redoutiez bien qu’au fond ce soit le vôtre, tous les contresens sur Descartes (inévitables et présents dans la plupart des copies) devraient nous conduire à éliminer du programme ce fauteur de troubles.
Je ne suis pas l’odieux réactionnaire que vous imaginez : je suis pour l’élitisme de masse, je suis pour que le français conserve sa grâce… afin que tous en profitent et en jouissent. Certes, cette grâce ne réside pas dans quelques accents circonflexes… mais un péril la menace si l’on considère que ce qui complique l’apprentissage du français peut être « évacué » sous ce seul prétexte.
J’insiste : nous « parlons » ici de la langue écrite… Elle n’est pas uniquement destinée à la rédaction de textes insignifiants, de dissertations imposées, de notes au personnel, de courriers électroniques ou de modes d’emploi… Elle est aussi celle des poètes de sept ans.
H. LANDROIT : Si sa suppression simplifie la vie de nos potaches, nous risquons d’entendre parler encore du fameux « nivellement par le bas ».
Pas de ma part. Je ne crois pas que l’éventuelle suppression de l’accent circonflexe sur quelques mots accentue, si j’ose dire, le risque de nivellement par le bas. Si ce risque existe, il est engendré par des suppressions beaucoup plus « lourdes »…
H. LANDROIT : Avec ce principe, on peut aller très loin (bonhomie, le nénuphar avec ph s’étale plus paresseusement sur l’eau qu’avec f, un chariot est plus ramassé qu’une charrette, et j’en passe). Le but de l’orthographe n’est pas de « surprendre » ou de « charmer sans servir à rien ».
Permettez-moi de vous faire observer que Josette Rey-Debove n’a nullement édicté un « principe » et encore moins assigné un tel « but » à l’orthographe… Elle a simplement observé une caractéristique de mes compatriotes. (Pour la corriger et pour vous faire plaisir : d’un grand nombre de mes compatriotes s’intéressant à la langue écrite.) À part ça, je suis évidemment pour l’alignement des charriots sur les charrettes… et les nénufars me comblent. Pour bonhommie, je suis plus réservé…
H. LANDROIT : « Question… Dans l’orthographe rectifiée, [il] parait…, c’est quel verbe ? » Le contexte nous renseigne tout de suite !
Beaucoup de contexte ! Car un peu ne suffit pas : « Tous les jours, à Paris, il parait des canards. »
Dans un cas (mais seulement avec l’« ancienne » orthographe…), cette phrase peut parfaitement vivre seule. Je veux bien admettre que jouant sur deux acceptions d’un même substantif je force un peu la note, mais… franchement, ne croyez-vous pas que notre habituel petit accent circonflexe permettrait d’y voir clair dans l’instant et de distinguer le présent de paraître et l’imparfait de parer… donc, par la même occasion, de préciser le sens de canard, donc… d’éclairer et même d’établir le contexte ? Qu’est-ce que ça peut faire qu’un écolier oublie l’accent de paraît dans une copie d’examen ? Quelques années plus tard, ayant grandi et beaucoup appris, il sera bien content de le retrouver pour lire ou écrire sans effort une phrase comme celle que je viens de donner en exemple.
P. ANDRIES : Expliquez donc pourquoi vous êtes contre argüer et accroitre, si ce n’est que vous les considérez comme des formes orthographiques fautives ?
Je croyais l’avoir fait… Je suis, sur ce point précis (tréma), totalement opposé à une « réforme » qui abroge une « règle » (en l’occurrence une « convention techniciste »…) extrêmement simple (le tréma toujours sur la seconde voyelle) dans le seul dessein de faire coïncider la graphie et la prononciation (supposée « bonne »…) de deux ou trois mots rares… Mauvais calcul…
Pour l’accent circonflexe, c’est une autre affaire, beaucoup moins simple. Plutôt que d’élaguer à la tronçonneuse et uniquement sur le i et le u, on pourrait s’amuser à en greffer quelques-uns sur d’autres voyelles…
Les « zônes grâcieuses », par exemple, élimineraient quelques « fautes », ce qui comblerait en partie les attentes des réformateurs… (Je crois que je n’aurais pas dû écrire ça…)
P. ANDRIES : Quel est le critère que vous appliquez ici ?
Celui de tout le monde : la norme officieuse… et tout le monde sait où la trouver… Je n’en ai pas d’autre et je n’ai aucune compétence ou autorité particulière pour la modifier à mon gré. Cela ne signifie pas que je considère que tout va pour le mieux dans la meilleure des orthographes et cela ne m’empêche surtout pas de porter des « jugements » personnels sur elle et sur les éventuelles rectifications que des gens pressés voudraient lui apporter… Cela ne m’interdit pas non plus, dans ma pratique quotidienne, de la bousculer et même de l’enfreindre quand ça me chante…
P. ANDRIES : De même pour ambigüité où est le problème ?
Et dans ambiguïté, il est où le « problème » ?…
P. ANDRIES : Qu’il existe encore des aiguilles sans tréma ? Si on changeait ça en aigüille, seriez-vous alors d’accord ?
Argh !… Vous voulez m’achever ?… Je ne serais même pas d’accord si vous me proposiez des aiguïlles… même « grâcieusement »…

À Langue-Fr., le 8 septembre 1999.
L. BENTZ : Me trompè-je (depuis 1990). Me trompé-je (avant 1990, avec une prononciation è).
Français : « Me trompé-je » (avant et après 1990).
Français dit rectifié : « Me trompè-je » (depuis 1990, dans quelques cercles étroits).

À F.L.L.F., le 4 janvier 2000.
R. BUDELBERGER : Pourquoi [tatillon est-il] le seul (?) dérivé de tâter dépourvu de circonflexe accent ?
Je l’ignore. Peut-être parce que le lien fut très tôt rompu ? Régularisons les séries… Plutôt que de suivre les barbares élagueurs du Cons. sup. de la française langue qui décoiffent aveuglément nos voyelles
 *, posons de délicats couvre-chefs sur tâtillon ou grâcieux… Pas gagné d’avance… Faut du courage pour s’y risquer…
Comment ? Je mélange bêtement chapellerie et sylviculture ? Bon, d’accord, remplacez couvre-chef par cime
* J’entends déjà les groupies du Cons. sup. rétorquer que les « â » ont échappé à la tronçonneuse, que seuls les î et les û ont dégusté… Dont acte anticipé…
A. DEMERSON : J’en pense que je me suis frotté la première fois à l’orthographe il y a fort longtemps, que les personnes d’un certain âge, pour ne pas dire d’un âge certain, ne changent pas leurs habitudes, et que donc je ne mets pas de chapeau à tatillon ni à gracieux.
Moi non plus (je n’en ai pas les moyens), mais je me garde bien de justifier ma pratique par l’âge… Cette position est indéfendable… Changez-en tant qu’il en est encore temps…

À F.L.L.F., le 19 janvier 2000.
A. D. : « Sur les premiers billets [de 50 F], il était écrit Saint-Éxupéri. » Voilà qui m’étonnerait fort.
C’est pourtant vrai… Enfin… n’exagérons rien… Laissons tomber le i qui n’a rien à voir dans cette affaire de caps accentuées…
Les premiers billets (j’espère que vous en avez gardé un…) étaient affublés d’un étonnant Saint-Éxupery

À F.L.L.F., le 14 février 2001.
D. DIDIER : On enseigne trop souvent que l’accent circonflexe ne noterait qu’un s disparu alors qu’il pouvait posséder une valeur distincte.
Oui, et pour rester dans le domaine néerlandais, notre bôme exprime fort bien l’allongement de boom
Encore heureux que l’emprunt soit ancien… Aujourd’hui, compte tenu de la négligente fascination ambiante, nos gréements acquerraient rapidos un cachet explosif…

À F.L.L.F., le 11 mars 2001.
J. HECKMAN : Si le but est d’éviter les homographies, pourquoi maintenir l’accent pour dûs ?
Pour faire une faute d’orthographe…

À F.L.L.F., le 13 juin 2001.
DAIMONAX : Pour finir, les Règles typographiques en usage à l’Imprimerie nationale […] sont une « marche maison » (comme le titre l’indique).
Oui, mais c’est une marche qui présente une caractéristique qui la fait accéder à un autre statut : elle est diffusée… Ajoutez le poids symbolique de la maison et, surtout, la qualité du document, vous obtenez un code… aujourd’hui considéré comme le meilleur du genre par un nombre croissant de professionnels. Il faut dire que cette tendance a été largement favorisée par le catastrophique « Nouveau » Code typo de la Fédération de la communication C.F.E./C.G.C. (successeur du Code typographique de la FIPEC, qui fut longtemps une référence).
Comme vous le savez, des marches, il y en a des dizaines. Chaque grande maison en a une, « réservée à un usage interne ». Ainsi les Règles typographiques en usage au département lecture-correction Larousse. Les divergences sont de moins en moins nombreuses. Au-delà des marches maison, vous avez parfois des protocoles particuliers, pour une collection, voire pour un seul ouvrage. J’en ai rédigé de nombreux (c’est d’ailleurs l’occupation de ma semaine).
Les écarts (je ne dis pas les « fautes »…) ressortiront de moins en moins souvent à l’orthotypographie, car celle-ci est intimement liée à la langue écrite… qui, par bonheur, n’est pas le bien des seuls typographes (et encore moins des graphistes-paoïstes…). L’accentuation ne peut être réduite à un simple problème typographique, c’est un fait de langue (« écrite », j’insiste… on ne sait jamais…). Comme vous le soulignez, la contrainte matérielle (et l’alibi corporatiste…) de l’interlignage n’existe plus dans ces termes. Ce n’était d’ailleurs pas le seul paramètre technique — les ennuis causés par le crénage (au sens ancien) latéral étaient dans certains cas résolus par les ligatures, mais impossible d’éliminer le crénage vertical des caps accentuées —, sans parler des raisons linguistiques (tous les accents ne sont pas nés et ne se sont pas imposés le même jour… même sur les minuscules) ou économiques (les caractères crénés étaient fragiles et chers)…
J.-M. MUNIER : Si, par contre, vous ne mettez pas [d’accent sur les capitales] et qu’il faille ultérieurement les rajouter, imaginez le boulot.
Oui, mais ce n’est encore rien… Quand il s’agit de noms propres, imaginez la perte d’information, parfois irrémédiable… même en bossant…


III. Les points sur les i, les points sur les I

À Typographie, les 6 et 7 avril 1998.
P. CAZAUX : Rétablir le point sur le I cap, ce qui n’est pas idiot, à mon avis, bicoze y’a pas de raison qu’il n’y soit pas. D’ailleurs, je serais curieux d’avoir la cause historique de cette absence. Je subodore une mesquine tentative d’économie datant du plomb, le point étant la partie fragile de la lettre en cas de chute, mais alors pourquoi le laisser sur les b. de c. ?
Le plomb n’est pas en cause… mais le bec fendu. On n’a éliminé aucun point sur la majuscule, on en a attribué un à la minuscule, histoire de la reconnaître au voisinage d’autres petits bâtons plus ou moins liés… (ui ou iu ?).
Bref, le point sur le I cap est encore une (F.) riche idée…
P. CAZAUX : J’ai bien compris. Mais pourrais-tu développer ce que tu entends par « bec fendu » ?
Pas grand-chose… c’était un petit accès de préciosité… Par bec fendu, j’entends tout instrument d’écriture dont la pointe est fendue (afin de favoriser la capillarité), en l’occurrence le calame (au sens strict) et, surtout, la plume de zoziau… Quel snob… Tout ça pour dire que le point sur le i est une trouvaille des copistes…
J. ANDRÉ : Quand s’est transformé cet accent en point ? Nina Catach n’en parle guère !
Accent :
XIe siècle. Premiers points : fin du XIIe. Victoire définitive du point : fin du XVe… En tout cas, c’est ce qui se dit habituellement…
Comme quoi… à y regarder de plus près, il est peut-être excessif d’affirmer comme je l’ai fait que le plomb est totalement étranger à l’affaire… Il n’est pour rien, évidemment, dans l’apparition du point… mais il a sans doute quelque chose à voir dans la généralisation de son emploi…

À Typographie, le 18 juillet 2000.
O. RANDIER : Sur les majuscules, la confusion du I avec d’autres choses est quasi impossible, il n’est donc pas nécessaire d’y mettre un point, c’est même déconseillé.
Je suis bien entendu d’accord avec tes explications historiques et tes recommandations typographiques… mais ton ultime argument me fait tiquer, car… s’il est une cap qui peut être confondue dans certaines polices avec d’autres signes (l (lettre « L » bas de casse), 1 (chiffre un)…), c’est bien le I ! Par conséquent, si comme moi tu ne tiens pas à voir fleurir des Í boutonneux, ne prête pas le flanc aux contestations faciles des sectateurs de la toute-puissante Lisibilité…
Dans la plupart des linéales, un I pointé serait certes monstrueux, hideux, scandaleux et toutes ces sortes de choses, mais serait-il complètement inutile ? Pas sûr, pas gagné d’avance. Re-donc, prudence…


IV. Combien y a-t-il
de caractères accentués dans une casse ?

À Typographie, du 19 au 23 novembre 1998.
J. ANDRÉ : Un autre problème sous-jacent est : quelle est la liste des caractères français ? Et d’ailleurs y en a-t-il une ?
Aucun code typographique ne la donne (ce doit être tellement évident…) sauf à la rigueur l’I.N. qui est incomplet.
À mon sens, le Lexique de l’I.N. est complet sur ce point… à â é è ê ë î ï ô ù û ç æ œ. Tu me diras, où sont les ä, ö, ÿ ? Eh bien, ils ne sont pas indispensables à la composition du français, c’est-à-dire, très précisément, à la composition de la langue française d’aujourd’hui. Cela ne signifie pas que ces signes et bien d’autres (á, ã, ñ, etc.) ne sont pas nécessaires à la composition d’un texte rédigé en français !
Le fameux ÿ n’intervient que dans des noms propres ; ä peut toujours être remplacé par æ… (Toutefois, on a bien raison de les employer et de tenter de les intégrer à un pangramme, mais pas à tout prix !… Bon, pour le ä, c’est pas encore ça… Quant au reste… oublions-le ici.)
J.-P LACROUX : « à â é è ê ë î ï ô ù û ç æ œ ».
Pas malin ! j’ai oublié le ü ! à coup sûr très utile dans la secte des Rectificateurs !
A. LABONTÉ : Par ailleurs, le ä et le ö de mälström ne sont essentiels ni à l’écriture de ce mot, ni au français.
Ici, je te reçois 5/5…
A. HURTIG : Mais de notre point de vue, les « lettres de la langue » ne sont pas nécessairement françaises.
Qu’un typographe (au sens très large…) ait besoin de nombreux signes « exotiques » pour composer un texte rédigé en français, c’est évident, mais cela ne change rien au fait qu’un nombre limité de signes alphabétiques est nécessaire à la composition de la langue française…
A. HURTIG : À ce propos, j’ai toujours été intrigué par la position des accents circonflexes dans la ligne consacrée par l’I.N. à l’espéranto : ils sont très hauts, sans doute pour s’aligner avec le circonflexe sur le h. Le problème, c’est que c’est assez laid, et que cet espace vide entre la lettre et son diacritique n’est pas réellement justifié. Est-ce que c’est traditionnel en espéranto ?
Non… Ces faux circonflexes indiquent les consonnes chuintantes. Sur le u, j’ai bien l’impression que c’est une erreur… Confusion avec l’accent bref… qui est pourtant bien arrondi… et orienté à l’inverse du circonflexe…
L’I.N. n’a visiblement pas de police espérantiste (je la comprends…). Elle a bricolé un machin atroce avec des chapeaux à la con qui ne sont ni du corps ni même de la police… Elle les a situés (à l’origine) sur l’interligne (impossible de faire autrement), donc en ligne…
A. HURTIG : Est-ce qu’il n’aurait pas mieux valu aligner tous les circonflexes à une hauteur normale, quitte à caser au chausse-pied celui du h à côté de la hampe ?
Et comment tu aurais fait ça avec des caractères en plomb ?… Deux coups de scie, quatre coups de lime (* 6) à l’aide de la servante JiDienne ?…
Bon […] elle aurait pu y parvenir avec une simple paire de ciseaux… mais vu que le monteur a déjà été incapable d’aligner correctement quelques lignes, vaut sans doute mieux qu’elle s’en soit abstenue…
A. HURTIG : À la date d’édition (1994 pour mon exemplaire), j’aurais sorti mon Fontographer ou mon FontStudio, et j’aurais essayé de travailler proprement.
Je te rappelle que les polices reproduites dans ce tableau de guingois sont des plombs ! S’agit pas de les péter… Oui, notre bonne I.N. aurait pu vectoriser tout ça… mais elle aurait mieux fait de montrer qu’elle savait encore ce qu’est la composition chaude ou, plus bêtement encore, le montage au quart de poil…


V. Capitales accentuées :
principes fondateurs

À France-Langue, le 29 mai 1997.
P.-O. FINELTIN : Je pense que des choix graphiques dans certains documents — publicitaires par exemple — nécessitent parfois de ne pas mettre l’accent. C’est donc, je pense, le besoin (de sens ou d’aspect) qui guide l’accentuation.
D’accord… mais vous êtes à la limite de l’image et du texte… Là, un peu de souplesse ne fait pas de mal…

À France-Langue, du 2 mars au 16 avril 1998.
B. A. DONVEZ : Bien que l’usage d’accentuer les majuscules se répande, quelques irréductibles gallocentriques cherchent à y résister…
Je ne vois pas où est le gallocentrisme chez ces irréductibles… La proposition inverse serait beaucoup plus proche de la réalité. Les capitales doivent être accentuées. Tous les codes l’affirment… Cette unanimité est bien rare…
P.-O. FINELTIN : La corporation imposa donc la norme de la majuscule non accentuée aux correcteurs d’édition.
Pas si simple… Pour le À (accent purement diacritique) et bien sûr pour les accents (et les trémas) sur les I, O et U cap, vous avez en partie * raison… mais certainement pas pour les divers E accentués ! La « norme » typographique de base a toujours été l’accentuation des E (accents grave, aigu et circonflexe)… Ils appartenaient à la plupart des bonnes polices de labeur. Ça se conçoit : leur absence (surtout celle du É…) peut entraîner des difficultés de prononciation et surtout de graves erreurs d’interprétation dans une compo en toutes caps ou en petites caps, ce qui est rarement le cas avec les autres voyelles accentuées (même le ù…).
* En partie, car certaines polices comprenaient ces capitales et petites capitales accentuées, indispensables dans les compositions soignées. Il est vrai que la fragilité (crénage supérieur) des capitales accentuées n’a guère favorisé leur emploi. Il faut ajouter les éventuelles difficultés d’interlignage.
O. BETTENS : Est-ce à dire que l’« usage » typographique de base a souvent été contraire à la « norme » ?
Certes… mais il est difficile d’apprécier ce « souvent »… À quelle époque et, surtout, dans quel type de composition ou d’ouvrage ? Je n’imagine pas les contours de la « norme typographique » de telle ou telle période à partir d’observations partielles de l’usage mais je tente de la saisir grâce à l’étude des manuels et des codes typographiques, type d’ouvrages dont la conception et la multiplication sont liées à l’évolution des techniques et rédigés, souvent (donc… pas toujours), par des gens qui connaissaient plutôt bien leur métier et leur langue.
O. BETTENS : Cela est vrai pour les mots ou phrases entièrement imprimés en capitales, pas pour les majuscules initiales, il me semble…
Il est certain que le défaut d’accentuation des capitales est surtout gênant dans les compositions en capitales. Pour autant, il ne faut jamais oublier que dans les compositions en bas de casse, les noms propres ont toujours l’initiale en capitale. Leur refuser l’accentuation est une erreur à mon sens manifeste…
O. BETTENS : Lorsque j’écris, je ne mets pas d’accents sur les majuscules initiales : à I’école, on nous comptait une demi-faute pour une majuscule accentuée. Ce sont des choses qui marquent. Je ne vois pas pourquoi je changerais (aucune « norme », en tout cas, ne me fera céder)…
S’agissant de votre « écriture », personne (en tout cas, pas moi) ne songe à vous imposer le respect d’une quelconque norme « typographique »…
O. BETTENS : Je viens de jeter un coup d’œil au Guide du typographe romand (éd. 1993, p. 37), qui est plutôt normatif, et j’ai été surpris de lire ceci : « On ne met pas d’accent à la lettre initiale (capitale) d’un mot en bas de casse : Ame/Emile/Ere. […] En revanche, on met les accents dans un mot ou une phrase entièrement en capitales : AVÈNEMENT/DÉJÀ/ÉMILE. » On peut bien sûr dire que ce Guide « a tort ». Il n’empêche qu’il jouit ici d’une autorité indéniable parmi les professionnels et qu’il est souvent la référence ultime des « typographes amateurs » que le développement de l’informatique a fait fleurir.
En la matière, le problème n’est pas d’avoir tort ou raison… mais de justifier ses choix en avançant au moins une raison recevable, quelle que soit sa nature (historique, technique, linguistique, etc.). Or, ici, que dalle… Faut faire comme ça parce que je le dis, point, circulez. « Pourquoi ? » est une question aujourd’hui inconnue chez les rédacteurs de codes. On les comprend. Or, cette différence de traitement entre « tout cap » et « capitale initiale » mériterait quelques explications… non ?
Au petit jeu des tables de la Loi typographique immanente, d’autres prophètes (Imprimerie nationale), dont l’autorité est encore plus indéniable, répondent ceci : « On veillera à utiliser systématiquement les capitales accentuées, y compris la préposition À. »
Il ne sert à rien de jouer au ping-pong avec des codes-raquettes. Quelle que soit la question traitée, je peux vous affirmer que je trouverai toujours deux citations pour illustrer un parti et son contraire… Encore une fois, ce qui compte, c’est la motivation des prétendues règles. S’agissant des capitales initiales accentuées, composer systématiquement Eve, Erasme, Ephèse est une monstruosité pédagogique.
O. BETTENS : Comme vous y allez…
Ce n’est pas moi qui y vais… mais la plupart des éditeurs de manuels scolaires… C’est un des impératifs de la profession, une norme, en quelque sorte… C’est également la norme pour les dictionnaires… Imaginez-les sans la moindre cap accentuée et vous verrez ce que j’entends par « monstruosité pédagogique »…
Dès lors que l’on apprend à un enfant qu’ Érasme s’écrit avec un E accent aigu, dès lors que ses dictionnaires lui confirmeront toujours ce petit fait, je ne vois pas bien pourquoi on s’amuserait à lui expliquer que cet accent doit disparaître dans la plupart des occurrences composées et dans toutes les occurrences manuscrites… Il est vrai que je ne suis pas pédagogue…
O. BETTENS : Mais cela pose à nouveau des questions fondamentales au sujet des normes et de leurs rapports avec les usages. À mon avis, on peut répondre de trois manières :
1. la norme est l’usage. Autrement dit, il suffit que, au sein d’une société donnée, on ait collectivement recours à un usage pour qu’il acquière le statut de norme. C’est une vision que défendraient probablement certains linguistes, mais qui ne s’applique guère à la typographie — je ne crois pas qu’ici vous me démentirez.
Bien sûr… je suis d’accord. Toutefois, les temps changent, comme disait Bob. La composition typographique n’est plus totalement à l’abri du vent. Il n’est pas exclu que cette vision fasse à l’avenir des adeptes hors du cercle des linguistes.
O. BETTENS : 2. La norme est inductible à partir de l’usage. Autrement dit, c’est en triant le « meilleur » usage du « moins bon » qu’on arrive à dégager une norme. Ceci correspond à la démarche des grammairiens du XVIIe siècle, dont Grevisse est un descendant. La raison intervient ici, mais uniquement pour décider qui est détenteur du « bon usage », en se basant pour cela sur des critères essentiellement non linguistiques (les plus riches, les plus puissants, les plus instruits, les mieux nourris, etc.).
Certes, mais la comparaison est osée, car, s’agissant de la composition typographique, le jeu de la norme et des usages fait intervenir des contraintes que la grammaire ne connaît point et, au premier chef, des contraintes techniques ! Oublier ce fait conduit à se méprendre (historiquement…) sur la nature même des usages typographiques. La non-accentuation des capitales est un bon exemple. Que l’alinéa (renfoncement) l’ait emporté sur le sommaire des copistes s’explique avant tout par la technique, non par le profil des imprimeurs. Les contraintes matérielles ne sont pas les seules oubliées dans cette affaire. Les préoccupations visuelles ont également une certaine importance. On ne peut évoquer les règles d’emploi des petites capitales en négligeant le rôle du gris typographique.
O. BETTENS : 3. La norme est déductible par la raison. Autrement dit, elle découle de règles ou de lois formulées a priori, auxquelles l’usage doit se conformer. On trouve cette idée chez certains théoriciens du Moyen Âge ou de la Renaissance : la graphie de Meigret est, il me semble, une tentative (pas toujours rationnelle) de « rationaliser » l’usage. Ce n’est que si l’on est adepte du point 3, il me semble, que la raison doit intervenir pour dire si un usage est bon ou non. Mais vous savez pertinemment que, moyennant le zeste de mauvaise foi dont personne ne peut prétendre être dépourvu, on peut trouver dix justifications rationnelles à n’importe quel usage, d’où un ping-pong encore plus redoutable que celui auquel vous faites allusion. Non ?
Si… avec un zeste de mauvaise foi, ce ping-pong peut être redoutable, mais je ne crois pas que l’on puisse trouver dix justifications rationnelles à n’importe quel usage… D’abord parce que ce n’est pas exactement ainsi que le problème se pose : un usage typographique n’a pas à être isolé pour être pesé à la seule aune de la Raison. Quant à étendre la procédure à l’ensemble du système, nul n’y songe plus. Il y a la Raison… et les raisons (historiques, techniques, linguistiques, etc.). La Raison, en l’espèce, consiste à examiner ces raisons…
O. BETTENS : Existe-t-il des codes typographiques qui, explicitement, se réclament d’une norme exclusivement fondée sur la Raison ?
Non, évidemment. Comme je vous le disais, les typographes ont plusieurs maîtres, dont certains, bêtement matériels, ont des raisons que la Raison ne connaît pas.
O. BETTENS : N’est-ce pas à eux seuls qu’on pourrait reprocher, s’ils n’expliquent pas, d’édicter une « loi typographique immanente » ?
Pourquoi ? Une loi immanente n’est pas nécessairement raisonnable.
O. BETTENS : Si l’on prend pour modèle le point 2 (ce qui me semble assez… raisonnable), peu d’explications sont nécessaires : il reste à savoir qui sont les bons (ou les meilleurs) typographes. Ceux qui ont le meilleur salaire ? Ceux qui rédigent les codes typographiques ? Ceux qui impriment les plus beaux livres ? Ou ceux qui accentuent les capitales initiales ?
Vous venez de démontrer que, s’agissant de la composition typographique, le point 2 n’est pas encore opérationnel… Pour conclure… La distinction des trois processus que vous décrivez est bien sûr irréprochable si l’on s’en tient à la norme et aux usages strictement linguistiques… mais, dès lors que la typographie entre en scène, la validité est sérieusement mise à mal par l’oubli des pesanteurs matérielles et des impératifs visuels…
O. BETTENS : Pour les entrées en capitales, c’est indéniable. Mais pour les initiales, c’est une autre chanson. Si les accentuer est une norme, alors elle est très récente.
Oui… mais elle est largement respectée…
Renseignez-vous auprès d’éditeurs de manuels scolaires (Nathan, Bordas, etc.) ou de dictionnaires (Larousse, Robert, Hachette, etc.)…
O. BETTENS : J’ai deux éditions du (Nouveau !) Petit Larousse datant des années 1955-1965 (je n’en ai pas de plus récentes) qui n’accentuent pas les majuscules initiales dans le corps du texte.
Oui… mais c’est une époque révolue…
O. BETTENS : Personnellement, j’éprouve une certaine méfiance pour les normes datant de… moins d’un demi-siècle. J’ai tendance à les mettre au « purgatoire » des possibles normes futures. Mais il est vrai que je n’imprime ni dictionnaire ni livre scolaire et j’admets que ceux qui sont actifs dans ce domaine soient plus pressés que moi.
Rien à redire… Comme vous le savez peut-être, je suis un défenseur obstiné des libertés individuelles ! Pour moi, nul n’est tenu de respecter les normes et les usages… Chacun fait comme il l’entend et le voit… et chacun en assume les conséquences…
O. BETTENS : En fait de monstruosité, j’ai connu bien pire.
Moi aussi… Bon, je retire « monstruosité » et vous propose « maladresse pédagogique ».
O. BETTENS : Si je comprends bien, vous expliqueriez l’absence (ou la rareté) des majuscules initiales accentuées dans les imprimés relativement anciens par des limitations d’ordre technique…
Oui, partiellement : fragilité du crénage, problèmes d’interlignage, etc. Mais je n’oublie pas les paramètres historiques et linguistiques.
O. BETTENS : Ce qui revient à peu près à dire : « Si nos anciens typographes avaient disposé des possibilités techniques dont nous disposons aujourd’hui, ils se seraient empressés d’accentuer toutes les initiales. » Ou vais-je trop loin ?
Oui et non.
Non, ce que j’ai écrit ne revient pas à dire à peu près ce que vous dites…
Oui, vous allez un peu loin… car je n’explique pas tout par les contraintes techniques ; je me borne à leur accorder l’attention qu’elles méritent. Toutefois, ce que vous me proposez comme corollaire n’est pas dénué de fondement historique : de nombreux typographes du
XVIIe et du XVIIIe siècle se sont évertués à contourner les contraintes matérielles en bricolant des accents au coup par coup ou en employant des fontes dans lesquelles les accents étaient placés sur le côté de la lettre : .
O. BETTENS : Je reconnais bien sûr l’intérêt d’une prise en compte des aspects techniques pour expliquer un style (dans le domaine de la musique instrumentale, par exemple, connaître les possibilités techniques des instruments pour lesquels les compositeurs anciens ont écrit, est une aide extrêmement appréciable à la compréhension de la musique elle-même). Mais… Mais, je pense que la contrainte (qu’elle soit ou non matérielle) est consubstantielle à l’idée même de style. Autrement dit, qu’un trait particulier à un style donné soit ou non lié à une contrainte matérielle n’atténue en rien le fait que ce trait est partie intégrante dudit style et participe de son équilibre. J’aurais donc envie de dire que si, dans le style, mettons, « roman policier des années trente », on trouve fort peu de majuscules initiales accentuées (je n’ai pas vérifié), ajouter de tels accents dans une réédition serait une faute de style. De la même manière, utiliser à l’ordinateur la police Courier, donc évoquant la machine à écrire, en lui ajoutant des gadgets que la bonne vieille machine à écrire ne possédait pas me paraît aussi une faute de style. L’analogie dont je me sers est ici artistique (et même musicale) et non grammaticale (je suis bien obligé de me servir d’analogies, comme je ne suis pas typographe). Est-elle parlante ? Est-elle recevable par un typographe ?
Bien sûr. Je suis d’accord avec tout ce qui précède (sauf sur les rééditions de polars)… mais nous ne parlons plus de la même chose… Les relations entre la norme, l’usage, les contraintes et le style sont riches… même en typographie. Il arrive qu’un style se caractérise en partie par un respect scrupuleux de certaines contraintes réelles ou obsolètes. À l’inverse, par exemple, des typographes dadaïstes se plaisaient à éliminer toutes les capitales. Loin de moi l’idée de critiquer semblable parti en l’opposant à une norme quelconque, puisque ce parti se charge lui-même de la confrontation et en joue.
Disons que, par nature, le style « manuel scolaire » est moins librement subversif…
O. BETTENS : La comparaison a ses limites. Mais j’ai tout de même de la peine à imaginer comment la ou les normes typographiques pourraient émerger autrement qu’à partir de l’usage et de la tradition. J’ai tendance à me méfier comme de la peste des choses qui sont parachutées juste parce qu’elles sont techniquement possibles, alors qu’elles ne l’étaient pas (ou étaient difficiles) auparavant.
Tout à fait d’accord. Toutefois, il ne faut pas oublier l’autre versant : méfions-nous également des normes déraisonnables, et engendrées jadis par des contraintes techniques qui n’existent plus…

À France-Langue, le 5 août 1998.
M. CROCQ : Quant aux capitales accentuées ou non dans les pages rédactionnelles… le problème se pose dans de nombreux journaux, ce qui est logique lorsque l’on sait que tout bachelier français a appris pour seule et unique règle orthotypographique dans toute sa scolarité : « Pas d’accent sur les majuscules » (sans distinction d’avec les capitales, d’ailleurs).
Certes… mais vous êtes trop indulgent avec les professionnels du secteur…
Dans tout processus d’édition, il y a… ou il devrait y avoir… en principe… au moins un individu ayant entendu parler de typographie ailleurs qu’à la maternelle ou au lycée (je ne parle évidemment pas d’Estienne et de quelques autres…)…
J’en connais qui n’hésitent pas à mettre en avant des choix esthétiques pour justifier un simple mais légitime désir de ne pas se compliquer la vie…

À Typographie, le 26 octobre 1998.
T. PEACH : Or, tout en ayant la permission de garder l’accent sur les E, j’ai dû systématiquement l’enlever sur les A (règles de la Maison oblige). Que faire ?
Respecter les règles de la Maison… et tout faire (avec ou sans espoir) pour qu’elles changent…
T. BOUCHE : […] Je suspecte plutôt une question d’habitude.
Oui… et bien ancrée ! Pendant des siècles, la plupart des polices de labeur n’ont pas eu de À (A cap accent grave)… ni d’ailleurs aucune cap accentuée… à l’exception des E (accents grave, aigu, circonflexe)… Seules ces trois dernières avaient leur cassetin dans la quasi-totalité des modèles de casse de labeur ! Même chose pour les petites caps ! Voir aussi les polices (listes des quantités) de labeur… Kif-kif !
Faut pas se gourer… c’est les tenants du « A préposition nu-tête » qui ont les gros bataillons plombés de la Tradition pour eux… Nous, on a la Raison et les maîtres ! C’est mieux !
T. BOUCHE : Bien sûr, faudrait l’améliorer dans le cas où seul le A a perdu son accent.
À tout faux, un original ! (Ducon, critique d’art.)
A tout faux, un original ! (Ducon, prof de maths.)

J.-P. Ducon (orthotypographe).

À Typographie, le 15 juin 1999.
P. JALLON : Pour les sigles, je n’accentuerais pas là où je ne « prononce » pas l’accent.
Tu nous racontes la blague de l’œuf et de la poule ? Il faudrait accentuer les sigles (quand on épelle, on épelle, inutile de se compliquer la vie ou d’inciter l’usager à écrire electricité)… La question d’un éventuel écart ne devrait se poser qu’avec certains acronymes (car les accents s’y retrouvent parfois en fâcheuse posture ou peuvent engendrer des difficultés de prononciation…).

À F.L.L.F., le 19 janvier 2000.
B. T. HIGONNET : Maintenant qu’il est techniquement facile d’accentuer les majuscules, pourquoi ne pas les utiliser ?
C’est simple… Pour pas se compliquer la vie… (Pas de quiproquo… Je suis férocement pour les complications qui facilitent la vie du lecteur !)

À Typographie, le 3 octobre 2000.
OUDIN-SHANNON : Les lois et règlements sont nécessaires, sans eux il n’y aurait pas possibilité de transgression.
Cela est certain, beau et même fondamental. Toutefois, d’autres raisons motivent quelques règles. Si celle que vous évoquez était isolée, sa beauté ne la mettrait pas à l’abri du néant. Plus la règle exceptionnellement transgressée est motivée, plus l’exceptionnelle transgression motivée est belle. On appelle cela un écart maîtrisé. Les transgressions systématiques (volontaires ou non) de règles ou de conventions motivées, c’est autre chose. La plupart portent un nom malsonnant.
Quant à l’abandon de règles ou de conventions typographiques non motivées ou démotivées, c’est encore autre chose et, le plus souvent, ce n’est plus une transgression.
OUDIN-SHANNON : Libération a supprimé les espaces liées à la ponctuation. Je ne suis actuellement pas d’accord avec leur usage, mais j’y vois quand même quelques raisons autres qu’une simple ignorance des règles.
Moi aussi… mais aucune n’exclut celle-là.
OUDIN-SHANNON : Si quelqu’un veut composer aujourd’hui É. D. F. libre à lui !
Profitant partiellement de cette liberté, je compose É.D.F. Le plus drôle, c’est que je sais pourquoi. Un comble.
OUDIN-SHANNON : Je trouve un peu court de rejeter automatiquement toute nouvelle pratique.
Provocateur… Remarque mesquine ? Oui, sans conteste. Mais rassurez- vous, je ne suis pas mesquin par dogme. J’ai parfois des crises aiguës, par exemple quand je lis que ceux qui récusent l’abandon irréfléchi du point abréviatif rejettent « automatiquement » toute nouvelle pratique. C’est un peu court, jeune homme

À F.L.L.F., le 22 mai 2001.
P. CAZAUX : Je ne joue pas. Donnez-moi une bonne raison d’accentuer tout sauf les majuscules.
Tu perds ton temps, camarade… Laisse pisser. Laisse causer… Posée en ces termes, la question de l’accentuation des majuscules et des capitales n’a, aujourd’hui, que peu d’intérêt. S’appuyer sur l’histoire de la chose imprimée, sur des traditions diverses, sur les habitudes de quidams d’ici ou là, sur la distinction écriture/typographie, sur l’élimination d’éventuelles ambiguïtés est désormais secondaire. (Il y a quinze ans, voire cinq, je ne dis pas… De toute façon, à l’époque, ces « appuis » rendaient déjà le même verdict…)
Le monde bouge. Aujourd’hui, la majorité (demain, la quasi-totalité) de ce qui s’« écrit » ne s’inscrit plus dans le couple traditionnel « écriture manuscrite »/ composition typographique. C’est fini, n, i, ni. Aujourd’hui, on saisit des caractères (codés…), les textes ne sont plus des ensembles inertes, figés, fixés comme naguère dans des glyphes de circonstance, dans des formes immuables sauf à tout se retaper… Laisse les archaïques (qu’ils soient directeurs artistiques, éditeurs, mandarins ou simples pékins) patauger, pédaler, s’enfoncer dans la vase, leur agonie sera brève. Tout concourt à l’accentuation systématique : la réversibilité des casses, la souplesse de la mise en forme à partir d’un même fichier, le passage d’un support à un autre, l’indexation, la recherche, la correction automatique, etc.
Quant au « C’est mon choix ! nananère ! mon opinion ! et je ne suis pas le seul à la partager ! mon instituteur et ma grand-mère sont sur la même longueur d’onde ! », qu’est-ce qu’on en a à cirer ? Chacun est libre d’écrire (de parler, de penser…) comme il le souhaite. Chacun est libre d’être fier de ses petites ankyloses.


VI. Capitales accentuées :
histoire et pratiques

À Typographie, le 27 juin 1997.
À mon sens (juste pour caser un À…), l’absence regrettable et séculaire de l’accent sur le A capitale n’est pas due à une raison d’ordre « esthétique ».
D’abord, mais ça n’explique pas tout, l’ajout (et surtout l’adoption) de l’accent diacritique sur la préposition « à » est plus tardif que l’accentuation de beaucoup de E initiaux.
Plus décisif est le fait qu’en composition chaude le A accentué est (était…) encore plus fragile que les E accentués. Sur les E, l’accent, grave, aigu ou circonflexe, « s’appuie » sur une vigoureuse horizontale. Sur le A, le malheureux accent grave ne rencontre qu’un angle (aigu…). Lors du serrage de la composition, le crénage pète facilement, plus facilement que sur les E. Ajoutez à cela le fait que l’absence d’accent sur la préposition « à » en position initiale engendre rarement (jamais ?) une ambiguïté…
Mais ces histoires de crénage (physique…), c’est de la préhistoire… Alors, aujourd’hui, si l’interlignage permet de caser les E accentués, il n’y a aucune raison (sérieuse…) pour ne pas caser les À…

À France-Langue, le 18 mars 1998.
H. FAVE : D’après le Manuel de typographie élémentaire d’Yves Perrousseaux : « (À) la fin du siècle dernier […] en imprimerie, les machines composeuses […] étant de conception anglo-saxonne, ne comportaient pas de capitales accentuées puisque la langue anglaise n’en comporte pas »…
Curieuse démonstration… Sur le même schéma : la langue anglaise ne comportant (sic) pas de bas de casse accentués, nos Linotypes et nos Monotypes d’origine américaine ont été incapables d’accentuer les minuscules…
H. FAVE : « Et dans les secrétariats, dès leur apparition, les machines à écrire (alors à frappe mécanique) ne comportaient pas de capitales accentuées non plus, car elles étaient elles aussi de conception anglo-saxonne. »
La dactylographie et la composition typographique, ça fait deux. Pendant le siècle où les machines à écrire ont envahi les bureaux, on n’a pas assisté à l’élimination de toutes les subtilités typographiques qu’elles étaient incapables de reproduire… En outre, attribuer une partie de la responsabilité du défaut d’accentuation à la dactylographie est un procédé discutable… quand on écrit à l’aide d’un clavier d’ordinateur. Il suffit de consulter d’anciens documents pour apprécier le mal de chien que se donnaient les pauvres premières dactylos pour entrer des succédanés d’accents (placement d’une virgule au sommet d’un E, par exemple…).
H. FAVE : « Pendant un siècle on a justifié ces contraintes techniques par cette idée reçue idiote, alors qu’il aurait été plus honnête de reconnaître : “On ne peut pas mettre les accents sur les capitales parce que les machines ne le permettent pas.” Ce que les praticiens étaient les seuls à savoir. »
Cela n’aurait pas été plus « honnête » puisque c’est faux ! La preuve : pendant le siècle en question, on a accentué des capitales… même en composition mécanique. L’absence d’accent sur les caps n’est pas un problème de « machine » mais de police (c’est-à-dire de matrices sur Linotype, de disque en photocompo, d’octets en P.A.O…), de police foireuse. Même sur Linotype, on pouvait toujours tourner certaines difficultés en composant en petites caps d’un corps supérieur. Quant à la photocomposition, des spécialistes pourraient expliquer comment on bricolait des accents sur les disques incomplets.

À F.L.L.F, le 31 mars 2000.
J.-M. GAUDIN : Deux raisons historiques à cela. La première, c’est que les machines à écrire ne le permettaient pas. La deuxième est que les rotatives avec des caractères en plomb usaient la partie haute des lettres ce qui posait problème pour les éditions bon marché, d’où suppression des majuscules accentuées pour icelles.
Oh non… c’est inexact.
La dactylographie n’explique en rien le défaut d’accentuation des majuscules, phénomène certes regrettable mais beaucoup plus ancien qu’elle. Les typographes d’antan accentuaient les capitales… mais pas toujours et, surtout, pas toutes. Les raisons techniques (proprement typographiques) et linguistiques ne manquent pas. Les machines à écrire (et les instituteurs…) expliquent seulement le fait que trop de gens pensent encore qu’il ne faut pas accentuer les capitales, ce qui est bien différent…
Quant aux rotatives… eh bien, elles ne risquent guère d’user les « caractères en plomb », puisqu’elles ne les fréquentent pas… Une rotative imprime par le biais d’un cliché courbe fixé sur un cylindre. Bien entendu, ce cliché s’use lors des tirages importants. Pas de problème : il a été obtenu à partir d’un flan qui lui-même était le moulage de la forme typographique.

À Typographie, du 2 au 3 octobre 2000.
OUDIN-SHANNON : On trouve dans le guide de Théotiste Lefevre l’exemple d’une couverture de livre (page 128) où l’on peut lire : CHIMIE ÉLÉMENTAIRE et plus loin : A ROUENS sans accent sur le A.
Oui, à l’exception classique de ce A, toutes les capitales de cette page de grand titre sont accentuées… C’est bien ce que vous vouliez démontrer ? À moins que cette référence ne vise également à nous suggérer d’écrire encore « A ROUENS » ou de mettre un point final aux pages de titre ? Allez jusqu’à la page 134, vous y découvrirez une charmante « HÉLOÏSE ». Je ne crois pas que ce Ï soit un E.
OUDIN-SHANNON : Il n’existerait aucun argument pour ne pas placer d’accent sur les capitales d’un texte courant ? J’en trouve pourtant deux : je trouve particulièrement laids les À que l’on trouve de plus en plus souvent dans les livres et la presse.
« Argument » irréfutable… et dont les conséquences s’étendent à toutes les majuscules accentuées, « laides » ou non ?
OUDIN-SHANNON : L’interlignage. Si l’on veut accentuer les capitales il faut interligner suffisamment pour que les accents des capitales ne touchent pas les jambages de la ligne supérieure. Ce n’est pas toujours possible dans la composition d’un quotidien ou d’un magazine par exemple.
Comme c’est impossible avec les À… il y a fort à parier que ce le soit également avec É. Conclusion : on n’accentue aucune majuscule ? C’est cela qu’il fallait comprendre ? C’est cela que vous considérez comme la tradition française en la matière ?
OUDIN-SHANNON : Depuis les débuts de l’imprimerie, les livres sont composés en France à 99 % sans accent sur les capitales.
Si l’on cessait de balancer des énormités, le débat serait plus limpide et aurait, peut-être, une petite chance d’être utile.
OUDIN-SHANNON : Affirmer qu’il faut toujours accentuer les capitales me semble une position dogmatique qui ne tient pas compte de tous les cas de figure.
Alors qu’affirmer que 99 % des livres composés en France depuis les débuts de l’imprimerie sont sans accent sur les capitales serait une observation documentée, sereine et non dogmatique… Reparlons-en le 1er avril, ce sera plus adéquat.
OUDIN-SHANNON : Je crois que l’argument esthétique : les capitales accentuées sont plus hautes et « cognent » avec la lettre, ne tient pas la route. (Ceux qui préconisent les À sont mal placés pour avancer cet argument…)
Alors que ceux qui considèrent comme leur argument premier que le À est « laid » sont évidemment bien placés pour jauger la validité des arguments « esthétiques »… Il se trouve, par bonheur, que le parasitage causé par les ponctuations hautes ne constitue pas un argument d’ordre « esthétique ».
OUDIN-SHANNON : Dire que 99 % des livres étaient composés sans accent sur les capitales serait une énormité ?
Oui, sans l’ombre d’une hésitation, même si le changement de temps semble indiquer un léger et prudent recul… Je répondais à ceci : « Depuis les débuts de l’imprimerie les livres sont composés en France à 99 % sans accent sur les capitales. » La modification ne change rien : l’assertion demeure erronée.
OUDIN-SHANNON : En fait, je crois qu’aucun livre n’avait d’accent sur les À, Ô, Ù, etc.
C’est inexact.